- HUANG GONGWANG
- HUANG GONGWANGHuang Gongwang est l’aîné de ces «quatre maîtres de l’époque Yuan» (les trois autres étant Wu Zhen, Ni Zan et Wang Meng) qui donnèrent au paysage Yuan son visage spécifique et exercèrent une influence déterminante sur tout le développement de la peinture des lettrés aux époques Ming et Qing. On peut le considérer comme le représentant le plus puissant et le plus complet du groupe. Sa destinée ne fut pas moins exemplaire que son art: originaire de Changshou, son existence se partagea entre des séjours dans les centres intellectuels et artistiques de Suzhou et Hangzhou et de fréquentes retraites dans les solitudes agrestes du mont Lu et des monts Fuchun. Il est donc à tous égards un pur produit de cette région du Sud-du-Fleuve (Jiangsu et Zhejiang) qui, depuis les Song du Sud, était devenue le principal foyer culturel de la Chine.L’itinéraire typique d’un lettré YuanAprès avoir exercé avec compétence un emploi administratif, vers quarante-cinq ans il renonce brusquement à la bureaucratie et se met à mener une existence indépendante et vagabonde. Il ne faut pas nécessairement interpréter ce soudain changement d’orientation comme une manifestation protestataire à l’égard des occupants mongols; mais quelles que furent ses motivations concrètes, en s’affranchissant ainsi de toutes les obligations de la vie officielle et en se plaçant dans une situation de désengagement individualiste à l’égard de l’ordre politique, il rejoignait la condition commune de l’élite intellectuelle de son époque. Il pratiqua pendant un temps le métier de diseur de bonne aventure (Wu Zhen fera de même quelques années plus tard), profession généralement exercée par des moines errants ou des intellectuels en chômage, et qui comportait une connotation à la fois savante et bohème. Puis il se retira quelques années sur les pentes du mont Lu, consacrant ses loisirs au vin et à la contemplation de la nature. La fréquentation intime de la montagne, la communion avec la nature ont constitué un des éléments fondamentaux de sa formation spirituelle et artistique; à la différence de tant de lettrés pour qui l’amour de la montagne n’était souvent qu’une convention de bon aloi, cultivée en chambre, chez Huang il s’agissait d’une expérience vécue dont se nourrissait son inspiration.Un génie diversIl ne s’adonna à la peinture que vers l’âge de cinquante ans. Il peut paraître surprenant que, malgré une vocation aussi tardive, il ait réussi à s’imposer comme l’un des plus importants créateurs qu’ait connus la peinture chinoise. En fait, il ne fit sans doute que transformer en occupation majeure une activité qui devait déjà lui être familière depuis longtemps, ne fût-ce qu’au titre de divertissement occasionnel. Tout lettré possédait des affinités étroites avec cet art, déjà par la seule pratique de la calligraphie. Mais il est typique de l’esthétique nouvelle que son principal représentant ait abordé la peinture d’une façon aussi impromptue et détachée. La renommée que sa peinture lui valut a fait quelque peu oublier ses autres talents, mais il aurait aussi bien pu s’illustrer comme poète ou comme penseur. Il portait, en particulier, un remarquable intérêt aux questions philosophiques et religieuses: vers la soixantaine, il adhéra à ce courant néo-taoïste qui, à l’époque, séduisait tant d’intellectuels (dont plusieurs peintres, tels Fang Congyi et Ni Zan), et il installa à Suzhou un centre consacré à l’étude et à la discussion de ces problèmes; animant personnellement les échanges philosophiques qui s’y déroulaient, il impressionnait l’auditoire par sa science et son éloquence. Vers l’âge de quatre-vingts ans, il se replongea une fois de plus dans la solitude montagnarde et s’attarda quelque trois ans dans les monts Fuchun, en compagnie d’un moine de ses amis. Son chef-d’œuvre, le rouleau horizontal Séjour dans les monts Fuchun , est le fruit de cette retraite contemplative au sein de la nature. Rentré à Changshou, il y mourut à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.Un tournant dans la peinture chinoiseReconnu comme un guide par ses cadets, l’influence de Huang Gongwang ne fit que grandir auprès de la postérité. Sous les Ming et les Qing, il fut inlassablement copié et étudié. Par l’intermédiaire des principaux chefs de file (surtout Shen Zhou au XVe siècle et Wang Yuanqi au XVIIe), son art a largement conditionné de manière directe ou indirecte la production des lettrés durant cinq siècles. Néanmoins, la physionomie originelle de sa peinture n’a pas laissé de s’altérer à travers les réinterprétations successives qu’en ont données ses innombrables imitateurs.Pour en redécouvrir le visage authentique, il ne reste guère qu’une seule œuvre attribuée avec certitude: heureusement, il s’agit d’une pièce maîtresse, le long rouleau Séjour dans les monts Fuchun (collection de l’Ancien Palais, Taiwan), exécuté entre soixante-dix huit et quatre-vingt-un ans, c’est-à-dire au moment où l’artiste se trouvait à l’apogée de son génie. Cette œuvre constitue l’un des jalons fondamentaux de l’évolution de la peinture chinoise; elle suffit à elle seule pour consacrer Huang comme l’un des plus importants créateurs que la Chine ait connus depuis l’époque des premiers grands paysagistes du Xe siècle. Commencée dans les monts Fuchun (Huang avait d’ailleurs l’habitude de faire des croquis sur le motif), elle fut lentement complétée durant trois ou quatre années, au gré de l’inspiration. Il s’agit donc typiquement d’une démarche de lettré qui n’obéit qu’à la seule allégresse de peintre et se laisse porter par les vagues successives du «caprice inspiré». Malgré cette exécution différée, la cohérence de l’œuvre est sans faille; elle présente à la fois l’unité rythmique d’un premier jet et la solidité d’une méditation lente et soutenue. Ce qui frappe dès le premier abord, c’est son caractère radicalement novateur: non seulement le paysage des Song du Sud se trouve entièrement éliminé, mais même cette volonté qu’avaient eue les premiers maîtres Yuan de remonter aux sources du paysage n’est plus guère apparente ici. Tout au plus pourrait-on encore discerner quelques vagues réminiscences de Dong Yuan, le premier grand paysagiste méridional, dont les œuvres servirent longtemps de modèle à Huang.Une esthétique de la transparenceÀ première vue, cette peinture paraît d’une déconcertante simplicité: rien de moins spectaculaire que ces modestes collines devant lesquelles le spectateur se trouve placé de plain-pied, privé soudain de ce point de vue surplombant qui faisait la majesté des perspectives traditionnelles. Les choses sont montrées comme elles se présentent, uniment décrites sous la lumière d’un jour égal – plus question de ces visions tronquées, de ces asymétries et ellipses dramatiques ou de ces brumes évanescentes qu’affectionnaient tant les Song du Sud. Wang Yuanqi a exprimé son admiration pour l’art de Huang, d’une manière qui pourra paraître paradoxale aux Occidentaux, en le qualifiant de «plat, insipide et naïf». Ces adjectifs, qui ici ont valeur d’éloge, cernent très précisément l’essence de cette peinture et peuvent résumer de façon générale toute l’esthétique du paysage Yuan, art d’intériorité et de spontanéité, par opposition à la peinture spectaculaire et concertée des Song du Sud.Qu’on ne se trompe pas sur le sens de cette notion de «naïveté»: elle est étrangère à tout concept d’«art brut» (il n’est point d’art plus intensément nourri de culture que cette peinture de lettrés) et n’implique nulle maladresse technique (de par sa formation de calligraphe, le lettré joue plus subtilement encore de l’encre et du pinceau que ne pourrait le faire un peintre professionnel); elle désigne en fait cet état de candeur atteint par un solitaire qui, ne se sentant point observé, parle et agit pour lui-même sans que sa démarche puisse être affectée ou gauchie par la présence d’un tiers, par la conscience d’un public, par le souci d’opérer un effet. En chinois, du reste, le sens premier de «naïveté» est «vérité de la nature», et c’est bien de cela qu’il s’agit ici: le paysage n’est plus qu’un prétexte qui permet au peintre de découvrir la vérité de sa propre nature; toute intention seconde ou arrière-pensée inspirée par l’existence d’un témoin critique ne pourrait que corrompre cette expérience spirituelle pour la transformer en spectacle. Ainsi par exemple, ce n’est pas par hasard que Huang Gonwang (et Ni Zan à sa suite) élimine la figure humaine de ses paysages: dans l’art académique des Song du Sud, on se souvient du rôle de «catalyseur de l’atmosphère» joué par les personnages dont l’intervention dans le paysage constituait une sorte d’artifice de rhétorique, une manière d’apostrophe lancée au public, pour lui rendre plus explicite l’intention de l’œuvre. Ici au contraire, la peinture revêt un caractère de simplicité et d’évidence qui ne laisse rien à deviner au spectateur: pour employer la formule d’un critique classique, elle est «totalement dénuée d’intention». À ce point, sa «platitude insipide» devient synonyme de transparence : la peinture cesse de faire écran (comme c’était le cas pour les Song du Sud qui, eux, pratiquaient une esthétique de l’apparence ) et ouvre tout entière sur cet au-delà de la peinture qui constitue le seul objet de la recherche du lettré, et dont la profondeur et la saveur sont, elles, sans limites. Cette tentative de dépassement de la peinture est soutenue par une technique qui cherche elle-même à oblitérer la technique. Tout cet aspect «gestuel», dont la peinture Song du Sud, trop consciente de sa dextérité, exhibait les traces avec complaisance, est maintenant effacé. À l’assurance rapide, infaillible, invariable des recettes d’école, se substitue une apparente irrésolution, une sorte d’hésitation discrète qui voile une certitude plus subtile et plus profonde. Le peintre procède par un jeu d’additions successives, d’abord lâches et faussement négligentes, mais dont la texture se resserre progressivement et se fait de plus en plus complexe et rigoureuse. Les nappes d’encre pâle sont reprises au pinceau sec; la touche monte en intensité et devient griffe; et tout se termine par une distribution de taches à l’encre onctueuse, lesquelles, perdant leur fonction originellement figurative, forment une ponctuation purement plastique où vient culminer le rythme de la peinture entière.Les plus hautes expressions d’un art peuvent parfois paraître ingrates au premier abord. Que l’amateur ne se décourage pas si ce chef-d’œuvre de la peinture Yuan ne lui livrait pas d’emblée son limpide secret. Après tout, le plus illustre (sinon le plus éclairé) des collectionneurs chinois, l’empereur Qianlong (1736-1796) lui-même, est resté aveugle devant lui: ayant la bonne fortune de posséder simultanément l’original et une copie assez quelconque du Séjour dans les monts Fuchun , il prit la copie pour l’original! On a d’ailleurs tout lieu de se féliciter de cette méprise: Qianlong avait la fâcheuse habitude de ruiner ses peintures favorites en les couvrant d’inscriptions élogieuses – médiocrement calligraphiées – et en les tapissant d’énormes sceaux; en l’occurrence, son enthousiasme dévastateur s’exerça sur la copie, laissant dormir l’original dans un providentiel abandon.Huang Gongwang(1269 - 1354), lettré et peintre chinois; l'un des "quatre maîtres" de l'époque Yuan.
Encyclopédie Universelle. 2012.